En 1988, deux jeunes entrepreneurs canadiens, Stephen Smith et Moray Tawse, fondaient Financière First National. À ce jour, Stephen et Moray demeurent très engagés dans les activités quotidiennes de l’entreprise. Ce sont des dirigeants, administrateurs et actionnaires très engagés dans la société, qui gère aujourd’hui 100 milliards de dollars en prêts hypothécaires et affiche une capitalisation boursière de plus de 1,6 milliard de dollars. Dans le cadre de cet entretien, nous avons demandé à Moray de faire un retour sur les premières années de First National et de regarder vers l’avenir de la société qu’il a cofondée.
Commençons par le commencement. Pourquoi avez-vous fait équipe avec Stephen pour fonder First National?
La décision de fonder First National a été facile à prendre, car nous avions passé deux ans ensemble à apprendre le domaine des activités bancaires hypothécaires. Par la suite, nous avons décidé d’investir de nos propres avoirs et avons fait le saut.
Pouvez-vous élaborer?
Je travaillais pour une société de fiducie et j’étais à l’origine des prêts consentis pour le compte de courtiers [hypothécaires]. Stephen était à l’emploi d’un courtier en placements spécialisé, où il s’occupait de vendre des portefeuilles de prêts à des régimes de retraite, des compagnies d’assurance vie et des fonds communs de placement. Je suis tombé sur la carte de visite de Stephen, je lui ai téléphoné et je lui ai proposé de travailler ensemble. Nous pourrions très bien préparer, émettre et vendre des prêts hypothécaires pour nos firmes respectives. Il a trouvé l’idée bonne et c’est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble. Un jour, nous étions ensemble à Vancouver pour rendre visite à un client commun. C’est alors que nous nous sommes dits que nous travaillions fort et que le fruit de notre labeur permettait à nos employeurs de s’enrichir. Pourquoi ne travaillerions-nous pas pour nous enrichir nous-mêmes? Ça semblait être la chose logique à faire.
On dit que tout est lié au choix du moment lorsqu’on démarre une entreprise.
Bien, pour nous, le moment n’aurait pas pu être mieux choisi, car des structures de titrisation hypothécaire venaient de faire leur apparition et, pour nous, la titrisation représentait l’avenir de l’industrie. Nous avons d’ailleurs fondé notre modèle d’entreprise sur la titrisation. Il se trouve que nous avons été un peu trop vite en affaires. Tout juste après la fondation de la société, le marché de la titrisation s’est effondré. Le deuxième volet de nos activités consistait à vendre des portefeuilles de prêts. Ce deuxième volet est donc immédiatement devenu notre seule activité commerciale, et c’en fut ainsi jusqu’à ce que la titrisation réapparaisse quatre ou cinq ans plus tard.
Avez-vous réussi à vous adapter?
Bien, la société a dégagé un profit dès cette première année-là et nous avons commencé à embaucher du monde presque immédiatement. Depuis, ce petit profit fait boule de neige année après année.
On dirait que vous l’avez eu facile au démarrage.
Bien, la décision de grever ma maison d’une hypothèque de second rang et de puiser dans mes poches pour fournir du capital de démarrage n’a pas été facile, mais nous avions un plan et tout s’est mis en place rapidement. J’étais capable de préparer des hypothèques, Stephen était capable de les vendre et nous bénéficiions d’un solide appui d’investisseurs et de courtiers hypothécaires. Aujourd’hui, nous voici rendus où nous sommes rendus. C’était comme un avion qui prenait son envol au bout d’une longue piste de décollage.
Qui a eu l’idée de nommer la société First National?
Nous jouions avec plusieurs noms possibles, puis l’adjointe de Stephen nous a proposé First National. Nous trouvions que c’était un nom qui avait de l’envergure et l’avons donc choisi.
Qu’est-ce qui explique le succès que connaît First National depuis ses débuts?
Nous comprenons tous les segments du marché et nous avons trouvé le moyen de faire le meilleur usage possible de nos actifs hypothécaires, que ce soit par la vente ou la titrisation. Cependant, la raison sous-jacente qui explique notre succès est le fait que nous avions un esprit plutôt entrepreneurial par rapport à nos principaux concurrents. Pour nous, faire preuve d’entreprenariat voulait dire faire tout ce que nous pouvions et encore pour permettre aux clients de vivre une meilleure expérience. Nous répondions rapidement à leurs besoins. Nous travaillions fort pour trouver des solutions et nous veillions à ce que tout se déroule sans heurt du début à la fin. C’est ainsi que First National fonctionne depuis ses débuts. La seule différence est que nous comptons sur beaucoup plus de personnes qui se dévouent à nos clients et à nos courtiers hypothécaires.
First National est aujourd’hui une société milliardaire. C’est tout un exploit.
Ce qui est le plus satisfaisant de notre histoire est simplement le fait que nous avons pu occuper un espace qui étaient totalement dominé par de grandes institutions. Nous avons réussi à faire d’une petite entreprise l’institution qu’est devenue First National. À titre de référence, notre portefeuille hypothécaire est aujourd’hui presque aussi important que celui de la Banque de Montréal.
Quand vous avez commencé, votre vision était-elle d’atteindre un tel niveau de grandeur?
Non. À l’instar de quiconque se lance en affaires, nous nous préoccupions de ce que nous étions pour faire dans l’immédiat et aux cours des semaines et mois suivants pour assurer notre croissance. Nous n’avions pas une vision de grandeur. Nous cherchions simplement à travailler plus fort et à nous améliorer. Et c’est la philosophie à laquelle nous sommes demeurés fidèles au fil des ans. À mon avis, ce qui compte, c’est ce que vous faites au fils de vos premières semaines et premiers mois pour croître et vous améliorer.
Comment votre rôle personnel dans la société a-t-il évolué au cours des années?
À nos débuts, Stephen s’occupait de nos activités dans le secteur commercial, tandis que je dirigeais nos activités dans le marché des prêts hypothécaires résidentiels pour maisons unifamiliales. Du temps a passé, puis Scott McKenzie s’est joint à l’équipe. Par la suite, nous avons pratiquement inversé nos rôles respectifs. J’ai pris charge du volet commercial et Scott s’est occupé du volet résidentiel. Ce dernier rendait ses comptes à Stephen, qui veillait à nos opérations de trésorerie. C’est essentiellement encore notre mode de fonctionnement. Stephen s’occupe du macro-portrait. C’est le type analytique, tandis que je suis à mon meilleur en marketing et en vente. Scott s’occupe toujours des prêts pour maisons unifamiliales et nous comptons aussi d’autres leaders très talentueux dans notre équipe.
Vaquez-vous toujours aux activités du quotidien?
Absolument. Je suis ici pour brasser des affaires, travailler avec des clients et soutenir nos équipes de vente.
First National a aujourd’hui 100 milliards en prêts hypothécaires administrés, ce qui en fait, et de loin, le principal prêteur hypothécaire non bancaire au Canada. Où allez-vous à partir de maintenant? Devenez-vous une banque, par exemple?
Absolument pas. Nous ne changerions jamais le modèle. Le modèle d’entreprise non bancaire est ce qui nous permet de nous démarquer. Nous fonctionnons comme un fonds commun de placement. Nous tentons de minimiser les risques de marché et de réaliser progressivement de petits gains. Ces petits gains finissent par totaliser des milliards de dollars chaque année.
Que diriez-vous de changer le nom de la société pour « First International » et d’étendre votre rayonnement à d’autres pays?
Non. Nous comprenons très bien le marché ici au Canada et nous sommes assez futés pour savoir qu’il y a des gens futés aux États-Unis et ailleurs qui connaissent leurs marchés respectifs mieux que nous ne pourrions jamais l’espérer. Nous nous satisfaisons donc de demeurer une institution fièrement et exclusivement canadienne.
Avez-vous envisagé la possibilité d’ajouter des produits financiers autres que des prêts hypothécaires résidentiels et commerciaux?
Il faudrait que de tels produits soient liés aux hypothèques d’une façon ou d’une autre pour que nous puissions rester dans notre zone de confort, dans ce que nous connaissons le mieux. Comme je le dis toujours, nous n’avons pas juste été futés, mais aussi chanceux et je ne pense pas que nous puissions être aussi futés ou chanceux dans un secteur non apparenté.
Ça prend une certaine discipline pour se limiter ainsi.
Possiblement, mais ce n’est pas aussi contraignant que vous puissiez le penser. Au fil des dernières années, nous avons créé une division de fonds hypothécaire ainsi qu’une division de gestion et d’administration de prêts hypothécaires. Ces deux divisions s’harmonisent parfaitement avec les principales activités de First National.
Donc, peut-on dire que le passé est garant de l’avenir?
Si vous voulez dire que l’avenir passe par une orientation sur la croissance, le client et l’esprit entrepreneurial, je réponds oui.
First National est cotée à la TSX depuis plus de dix ans. Fut-ce une bonne décision?
C’est probablement la meilleure décision que nous avons jamais prise, car ça nous a donné une plus grande légitimité. Avant notre premier appel public à l’épargne, des clients potentiels ne nous connaissaient pas ou pouvaient ne pas être convaincus que nous avions les reins assez solides pour décaisser les 50 millions de dollars dont ils avaient besoin pour financer leur hypothèque. Aujourd’hui, ils n’ont pas à nous croire sur parole. Ils n’ont qu’à consulter nos rapports pour se convaincre que nous avons les reins assez solides. Notre inscription à la TSX a contribué à accélérer notre croissance en élevant notre statut institutionnel.
Vous et Stephen détenez toujours une participation considérable dans la société. Est-ce important?
C’est important pour nous, mais ça fait de nombreuses années que First National n’est plus l’affaire de seulement Stephen et Moray. Nous comptons des gens talentueux à tous les échelons de la société. Et c’est l’équipe qui gouverne le navire. La force de cette équipe nous a vraiment insufflé une nouvelle énergie. Travailler avec ces gens de talent est ce qui fait que c’est un plaisir de venir travailler au bureau chaque jour.
Moray Tawse a-t-il un rôle à jouer dans l’avenir de First National?
Vous pouvez en être sûr.