En bref :
- Une décennie de niveaux d’immigration records a fait grimper le PIB, mais a pesé sur le logement, poussant l’inflation des loyers à plus de 8 % et maintenant les prix de l’immobilier à des niveaux élevés malgré des taux d’intérêt plus élevés.
- Le récent plafonnement des permis d’études et de travail ralentit la croissance démographique, atténue la pression sur les loyers et donne aux constructeurs la possibilité de combler une pénurie de 500 000 unités d’habitation.
- Pour assurer une abordabilité durable, il faut que des réformes de zonage et de nouveaux financements se traduisent par une construction soutenue qui stimule le PIB par habitant plutôt que par une simple mise sur pause de la demande.
La vague d’immigration que le Canada a connue après 2014 est sans précédent dans l’histoire moderne du pays. Entre 2014 et 2023, le Canada a accueilli quelque 2,98 millions de nouveaux résidents permanents et délivré quelque 4,4 millions de nouveaux permis d’études et de travail, selon les données administratives d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Seulement en 2023, la population a augmenté de 3,2 %, soit d’environ 1,27 million de personnes, ce qui correspond à la taille de la région métropolitaine de Calgary, après avoir connu une croissance presque record chaque année depuis 2016. La production n’a pas pu suivre. Le PIB réel par personne est aujourd’hui inférieur de 2,5 % à son niveau prépandémique. Nous examinerons l’incidence du boom démographique sur les loyers, les prix de l’immobilier et le PIB, puis nous évaluerons comment les nouvelles cibles d’immigration, nettement plus basses, joueront sur l’équilibre de l’offre.
Quelle a été l’ampleur du boom sur le marché locatif?
La plupart des nouveaux arrivants sont d’abord locataires, de sorte que le signal le plus fort et le plus rapide est apparu sur le marché locatif. En 2023, le taux d’inoccupation des immeubles construits expressément pour la location au Canada est tombé à 1,5 %, soit le taux le plus bas des 35 ans de la série de la SCHL, tandis que la moyenne des loyers annoncés a augmenté de 8 % sur douze mois – le taux le plus élevé jamais enregistré. La Banque du Canada a quantifié le resserrement immédiat. L’inflation des loyers a atteint 8,2 % en octobre 2023, son plus haut niveau en 40 ans, et le personnel a directement lié ce pic aux afflux records de nouveaux arrivants.
Une étude conjointe de Statistique Canada et d’IRCC portant sur 5 827 observations municipales entre 2006 et 2021 montre un lien évident entre les afflux de nouveaux arrivants et les loyers. Les municipalités ayant connu des augmentations plus marquées du nombre d’immigrants arrivés au cours des cinq années précédentes ont enregistré une hausse moyenne de 11 % des loyers mensuels médians au cours de la même période de cinq ans, l’effet étant le plus marqué dans les principaux centres urbains du pays. Exprimée à l’échelle nationale, l’immigration a représenté environ un dixième de l’augmentation totale des loyers au cours de la période et y a contribué de manière disproportionnée dans des marchés qui étaient déjà confrontés à un faible taux d’inoccupation et à une offre nouvelle limitée.
Quelle a été l’incidence sur les prix des habitations?
Les effets sur l’accession à la propriété sont moins directs, car les nouveaux arrivants n’achètent généralement qu’au terme de plusieurs années, mais le choc de demande n’en est pas moins important. La même étude de Statistique Canada a révélé des corrélations positives et significatives entre les afflux d’immigrants et les valeurs médianes des maisons dans deux des trois derniers cycles de recensement quinquennaux. L’analyse de la Banque du Canada a également montré que la croissance démographique a davantage contribué à la demande de logements qu’à l’offre en 2022 et en 2023, ce qui a permis de protéger les prix contre les hausses de taux. La conclusion est claire : l’immigration a été un véritable moteur.
Contribution à la croissance du PIB
Il est sans équivoque que l’immigration a eu un effet positif sur le PIB. Une simulation réalisée par la Banque du Canada en 2023 a permis de conclure qu’une hausse de l’immigration augmentait le taux de croissance non inflationniste de l’économie en élargissant le bassin de main-d’œuvre et en stimulant la consommation. Entre 2014 et 2023, les nouveaux arrivants ont contribué à la quasi-totalité de la croissance nette de la main-d’œuvre et à une part importante de l’augmentation totale du PIB.
C’est pourtant cette même poussée démographique qui a dilué la croissance par habitant. Selon Statistique Canada, le PIB réel par habitant a diminué au cours de cinq des six derniers trimestres et se situe actuellement à 2,5 % en dessous des niveaux de la fin 2019, et ce, malgré la taille plus importante de l’économie. Le paradoxe est simple. L’augmentation de la population a permis d’accroître la production globale, mais, comme la productivité est restée à la traîne, le niveau de vie moyen a stagné.
Le nouveau régime politique et la fermeture du robinet
Des inquiétudes concernant le logement et la prospérité par habitant ont poussé Ottawa à procéder au plus grand remaniement de l’immigration depuis une génération. Le Plan des niveaux d’immigration 2025-2027 réduit les cibles de résidents permanents et, surtout, impose des plafonds fermes quant aux nouveaux permis d’études et de travail. Selon les calculs de RBC, ce changement devrait réduire le nombre de ménages formés d’environ 46 %, soit de près de 400 000 ménages, au cours des trois prochaines années. Le directeur parlementaire du budget prévoit que cette mesure réduira la pénurie de logements au Canada en 2030 de 534 000 unités, soit 45 %, si les prévisions démographiques se maintiennent.
Les premiers effets sont déjà visibles. Les approbations de permis d’études sont en voie de diminuer de 47 % en 2024 par rapport à 2023, ce qui suggère que les collèges et les universités accueilleront des dizaines de milliers d’étudiants internationaux en moins. La demande ayant fléchi, la moyenne des loyers demandés n’a augmenté que de 2,1 % d’une année sur l’autre en septembre 2024 – soit le rythme le plus lent depuis 2021 – et a même baissé à Toronto et à Vancouver.
La dynamique des prix de l’immobilier dépendra de deux forces opposées. Le ralentissement de la croissance démographique élimine une source importante de demande structurelle, ce qui laisse présager une stabilisation des prix. Cependant, la baisse des taux d’intérêt (les marchés s’attendent à ce que la Banque du Canada décrète plusieurs baisses d’ici à la fin de 2025) et l’accession d’immigrants récents à la propriété pourraient compenser une partie de ce ralentissement. Les prévisions consensuelles tablent désormais sur une stabilité générale des prix nationaux en 2024, suivie de faibles hausses de moins de 10 % en 2025, ce qui est bien en deçà des augmentations se situant dans les deux chiffres enregistrées entre 2020 et 2022, mais également loin d’un effondrement.
L’offre finira-t-elle par rattraper la demande?
La baisse de la demande ne suffit pas à résorber la pénurie de logements au Canada. Les décisionnaires politiques ont associé les plafonds d’immigration à la campagne de construction la plus agressive depuis les années 1950, comprenant 4 milliards de dollars pour le Fonds pour accélérer la construction de logements, 6 milliards de dollars pour l’infrastructure permettant la construction de logements, l’élimination de la TPS sur la construction d’immeubles d’habitation construits expressément pour la location et plusieurs milliards de dollars supplémentaires pour des programmes de prêts pour la construction de logements locatifs. Les provinces légalisent les multiplexes, réduisent les frais et accélèrent les procédures d’autorisation. Si ces mesures aboutissent, les niveaux de construction de logements locatifs pourraient rester proches de leur sommet de 2023 et les mises en chantier de logements neufs pourraient reprendre le chemin de la croissance une fois que les coûts de financement auront baissé.
La stratégie combinée – ralentir temporairement la demande tout en accélérant l’offre – devrait, en théorie, rétablir un certain équilibre d’ici à la fin des années 2020. Le directeur parlementaire du budget prévient néanmoins que, même après le ralentissement de l’immigration, le Canada aura encore besoin d’environ 1,2 million de logements supplémentaires d’ici à 2030 pour éliminer la pénurie de logements vacants. Si l’on ne parvient pas à maintenir des volumes de construction élevés, il sera impossible de résoudre la crise de l’accessibilité.
La croissance économique sans la béquille démographique
La croissance du PIB se ralentira à mesure que l’immigration ralentit. En raison de considérations démographiques, la Banque du Canada soustrait déjà de ses projections de 0,3 à 0,5 point de pourcentage à la croissance attendue en 2025 et en 2026. Cette retenue est délibérée. En permettant au logement, à l’infrastructure et à l’intégration sur le marché du travail de rattraper le retard, les décisionnaires politiques espèrent que l’expansion future se traduira par une augmentation du PIB par habitant plutôt que par une simple augmentation du nombre d’habitants. Si les efforts de productivité aboutissent et les contraintes d’offre s’atténuent, la production par personne pourrait enfin retrouver sa tendance d’avant 2014 après huit années de stagnation.
Au final
Entre 2014 et 2023, l’immigration a stimulé l’ensemble de l’économie canadienne et, en surchargeant un secteur du logement caractérisé par un rythme lent de construction de nouvelles unités, a contribué à faire grimper les loyers à des niveaux sans précédent et à empêcher les prix des logements de baisser, malgré les hausses des taux d’intérêt. L’inflation des loyers a culminé à 8 % et les taux d’inoccupation ont chuté à 1,5 % pendant la période de croissance démographique la plus rapide depuis les années 1950. Le PIB a globalement augmenté, mais le revenu par habitant a diminué.
Ce changement radical de politique consiste à plafonner les permis d’études, à renforcer les règles relatives aux visas de travail et à encourager les résidents temporaires à quitter le pays. Ces mesures réduiront la croissance démographique et, par extension, la demande de logements. Des données préliminaires indiquent que les loyers baissent là où les afflux d’étudiants ont considérablement diminué. Sur trois ans, quelque 400 000 ménages potentiels disparaissent des prévisions. Les constructeurs ont ainsi la possibilité de réduire une pénurie de près de 500 000 unités.
L’amélioration de l’abordabilité dépend moins de l’arithmétique de la baisse de l’immigration que de la capacité du Canada à transformer de nouveaux instruments politiques en mesures concrètes. Le résultat sera déterminé par les réformes de zonage, l’accélération des procédures d’approbation et le maintien de niveaux de construction historiquement élevés. Si la construction s’accélère, les loyers devraient se stabiliser, les prix de l’immobilier pourraient s’aplanir et le PIB par habitant pourrait enfin commencer à augmenter. Autrement, le pays pourrait constater que le ralentissement de l’immigration ne permet que de gagner du temps. Le véritable test sera l’efficacité avec laquelle le pays pourra construire les logements dont une population croissante et prospère a encore besoin.