Les turbulences qui secouent le marché canadien du logement envoient des ondes de choc dans l’économie entière. Le logement forme aujourd’hui un des segments, voire le segment, les plus observés de l’économie – au point de commander des mesures législatives particulières.
Le marché canadien du logement est déstabilisé et il en résulte plus qu’une stratification du pays en zones économiques de croissance débridée, de contraction inquiétante ou de stagnation blasée. Les effets s’étendent bien au-delà de l’immobilier et créent de nouvelles rides et déchirures dans le tissu social du pays.
Ces effets ont des répercussions sur les finances des ménages, les emplois et l’immigration entre autres. En fait, ils affectent le positionnement de l’économie canadienne sur l’échiquier mondial.
Nous examinerons ces changements dans une série d’articles.
Abordabilité et accession des jeunes à la propriété
Dans le cadre d’un discours prononcé devant un auditoire de la Banque d’Angleterre en 2016, le président et premier dirigeant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, Evan Siddall, s’est attaqué aux programmes gouvernementaux en matière d’accession à la propriété.
Depuis l’effondrement de l’économie mondiale en 2008 et la chute subséquente des prix du pétrole, l’habitation et devenue un – sinon le – principal moteur de croissance économique au Canada. Cependant, comme nous l’avons souligné à répétition au cours des dernières années, cette croissance est alimentée par un accroissement de l’endettement – soutenu à son tour par des taux d’intérêt historiquement faibles.
Néanmoins, la Colombie-Britannique et Vancouver ainsi que l’Ontario et Toronto se sont toutes engagées dans des efforts visant à lutter contre la montée en flèche des prix et à garder le rêve d’être propriétaire bien vivant, surtout pour les premiers acheteurs. Depuis le début des années 1990, le gouvernement fédéral propose des programmes d’aide aux premiers acheteurs. Même la SCHL a été fondée en 1946 en raison du désir politique de rendre le rêve d’être propriété de son logement atteignable.
Un marché de dupes
M. Siddal, premier dirigeant de la SCHL, a qualifié de « possible marché de dupes » le maintien par la classe politique de la possibilité pour les premiers acheteurs de ne verser qu’une faible mise de fonds (menant nécessairement à un endettement accru), suggérant que l’exigence d’une mise de fonds plus élevée pourrait mettre fin aux problèmes d’abordabilité et repousser les effets pernicieux des faibles taux d’intérêt.
[traduction] « […] la faiblesse des mises de fonds exigées explique peut-être en partie le problème qui contribue à rendre l’achat d’un logement moins abordable », a-t-il affirmé.
M. Siddall a ajouté ceci : [traduction] « […] étant donné que l’augmentation de la demande ne fait que gonfler le prix des maisons, les avantages de la politique, ce sont les vendeurs de maison mieux nantis qui en profitent plutôt que les jeunes premiers acheteurs que la politique est censée aider. »
M. Siddall a aussi réitéré la préoccupation de longue date de la Banque du Canada, à savoir que le niveau d’endettement élevé au sein de la population canadienne (qui atteint quelque 168 % du revenu disponible des ménages) représente la plus importante menace intérieure qui plane sur l’économie canadienne.
Tout en reconnaissant que la propriété représente un véhicule efficace d’épargne forcée et de sécurité de la retraite, « ça peut aussi limiter la mobilité de la main-d’œuvre », a affirmé M. Siddall, soulevant du coup une préoccupation économique qui gagne en importance.
Mobilité de la main-d’œuvre, abordabilité et milléniaux
La mobilité de la main-d’œuvre et l’abordabilité du logement sont devenues de vives inquiétudes au sein de la cohorte des milléniaux qui cherchent à accéder à la propriété. Les milléniaux forment le groupe qui s’endette le plus tout en vivant des pressions financières sans précédent.
La question a refait surface une fois de plus dans le cadre d’une série de tables rondes sur l’habitation organisées par des maires d’un bout à l’autre du pays. Des chroniqueurs et des chefs d’entreprise en ont parlé dans des textes d’opinion. Et le débat fait rage depuis longtemps, comme en témoigne ce reportage diffusé par la CBC en 1988 pendant l’émission de Neil Macdonald.
Lors de la table ronde tenue à Toronto en octobre 2016, à la fois de jeunes travailleurs et leurs employeurs ont exprimé des inquiétudes quant aux choix à faire entre où travailler et où habiter. Une jeune de 26 ans a comparé la probabilité d’être propriétaire d’un logement près de son travail à Toronto à celle de gagner à la loterie. Elle a affirmé que, en raison des prix élevés, elle était forcée de regarder de plus en plus loin de la ville pour trouver une maison en remplacement de la copropriété de 400 pieds carrés qu’elle loue avec son ami de cœur. Elle a aussi avancé qu’il serait de plus en plus difficile pour elle de continuer de travailler dans son domaine dans la Ville-Reine.
Son employeur a fait écho de ces préoccupations, se disant inquiet que les jeunes talents qui font la force de son entreprise risquent un jour de ne simplement plus être disposés à travailler pour lui.
Exode urbain
L’exode urbain de jeunes travailleurs talentueux représente une grande source d’inquiétude pour les entreprises installées dans les grandes villes canadiennes. Une récente enquête menée par l’Association des comptables professionnels agréés de la Colombie-Britannique suggère que 84 % des entreprises de la province éprouvent des difficultés modérées ou graves à attirer et à retenir de la main-d’œuvre qualifiée. De plus, selon l’enquête, le principal problème est le coût de la vie en général et le coût du logement en particulier.
Dans un texte d’opinion paru en février 2016, l’entrepreneur technologique à grand succès Ryan Holmes (le fondateur de Hootsuite) a très justement souligné que Vancouver courait le risque de devenir une ville fantôme sur le plan économique.
[traduction] « L’inaccessibilité est en train de vider Vancouver d’un de ses plus précieux atouts – de jeunes gens y ayant grandi et y étant investis. Aussi, de nouveaux arrivants qualifiés qui pourraient contribuer leurs talents, leur ambition et leur vision à Vancouver regardent ailleurs. La fermeture projetée de plus d’une douzaine d’écoles publiques de Vancouver donne une idée de l’ampleur du problème. Les familles n’ont plus les moyens de vivre ici », avait-il écrit.
« Des candidats qualifiés refusent de s’installer en ville et d’excellents employés quittent parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de bâtir leur vie ici. »
Besoin de jeunes travailleurs
À la fois les villes et l’industrie du logement ont besoin de jeunes travailleurs. Ces jeunes représentent de précieux premiers acheteurs qui alimentent le marché immobilier et permettent à des deuxièmes et troisièmes acheteurs d’acheter plus grand, plus cher ou mieux. De plus, les jeunes contribuent beaucoup à leur économie locale. Comme le soulignait Ryan Holmes dans son texte d’opinion, ils sont embauchés par des entreprises en mesure d’offrir des possibilités de développement professionnel et d’avancement. En l’absence d’un bassin de jeunes travailleurs disponibles, ces entreprises finiront par plier bagages et s’installer ailleurs. Enfin, sans de telles entreprises, toute ville perd sa croissance économique et laisse derrière des secteurs de services qui répondent aux besoins des résidents nantis et des touristes.